Le Lion et le Moucheron, La Fontaine ou comment finement caractériser ses personnages ?

Publié le par incongru

 Dessins de Jean-Claude Bauer  - Copyright Editions Franco-Berbères

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Message personnel pour Kyllian, Djessy (non, il n'y a pas de fautes d'orthographe) et Kemly : NON, La Fontaine n'est pas un gros nase du XIIème siècle qui a recopié les "trucs" de vieux antiques.

D'abord, il est contemporain du vieux Roi Soleil et ensuite, vous le savez, dans la personnification des personnages, dans la manière de les caractériser, c'est lui le meilleur.

Pour ceux qui pensent que La Fontaine n'est qu'un "copieur" ou "copiteur" comme ceux ci-dessus (14 ans) le disent, voire certains étudiants... vous pouvez essayer de faire pareil.

Quand on vous demande d'étudier une fable de La Fontaine, au-delà du message et de la morale, il est important d'étudier le style.

En voici l'exemple avec cette fable, Le Lion et le Moucheron, adaptée de celle d’Ésope, intitulée, elle, Le cousin et le lion.

Voici déjà celle d'Esope :

Un cousin s’approcha d’un lion et lui dit : « Je n’ai pas peur de toi, et tu n’es pas plus puissant que moi. Si tu prétends le contraire, montre de quoi tu es capable. Est-ce d’égratigner avec tes griffes et de mordre avec tes dents? Une femme même qui se bat avec son mari en fait autant. Moi, je suis beaucoup plus fort que toi ; si tu veux, je te provoque même au combat. » Et, sonnant de la trompe, le cousin fondit sur lui, mordant le museau dépourvu de poil autour des narines. Quant au lion, il se déchirait de ses propres griffes, jusqu’à ce qu’il renonçât au combat.

Le cousin, ayant vaincu le lion, sonna de la trompe, entonna un chant de victoire, et prit son essor. Mais il s’empêtra dans une toile d’araignée, et, se sentant dévorer, il gémissait, lui qui faisait la guerre aux plus puissants, de périr par le fait d’un vil animal, une araignée.

  • Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)

Pour Kemly, le cousin n'est pas le fils de mon oncle ici... mais la petite bébête...

Le Lion et le Moucheron

« Va-t’en, chétif Insecte, excrément de la terre. »
C’est en ces mots que le Lion
Parlait un jour au Moucheron.
L’autre lui déclara la guerre.
« Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de Roi
Me fasse peur, ni me soucie ?
Un Bœuf est plus puissant que toi,
Je le mène à ma fantaisie. »
À peine il achevait ces mots
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le Trompette et le Héros.
Dans l’abord il se met au large,
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du Lion, qu’il rend presque fou.
Le Quadrupède écume, et son œil étincelle ;
Il rugit ; on se cache, on tremble à l’environ ;
Et cette alarme universelle
Est l’ouvrage d’un Moucheron.
Un avorton de Mouche en cent lieux le harcèle
Tantôt pique l’échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu’il n’est griffe ni dent en la Bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux Lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs,
Bat l’air qui n’en peut mais, et sa fureur extrême
Le fatigue, l’abat ; le voilà sur les dents.
L’Insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin
L’embuscade d’une Araignée ;
Il y rencontre aussi sa fin.


Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

Deux textes : deux formes

Bon, première remarque, la fable d’Ésope est en prose, celle de La Fontaine en vers... si vous voulez bien compter les syllabes (on appelle cela, définir le mètre), vous remarquerez que nous avons devant nos yeux éblouis une alternance d'alexandrins et d'octosyllabes. Vous me suivez, douze syllabes et 8 syllabes. Le vers 2 est un octosyllabe, si, si, il faut simplement faire une diérèse : comprenez, on prononce li-on en deux émissions de voix et non lion en une seule.

Cette alternance a un sens. Ce n'est pas juste "pour faire joli", pour "varier les plaisirs". Associé au vocabulaire épique de la bataille "sonna la charge", "trompette", "héros", le choix du mètre apporte deux dimensions : les octosyllabes montrent la rapidité de l'action du moucheron mais aussi que ce n'est qu'un moucheron.

Au plus fort du combat, La Fontaine opte pour l'alexandrin. Je passe.

Des personnages bien définis

Mais surtout, et c'est en fait l'objet de cet article, ce qui fonctionne toujours avec les fables de La Fontaine, c'est d'observer les substituts nominaux (Quésako ?). Les substituts nominaux, vous savez ! Si, si, vous savez. Ce sont ces petits mots ou groupes de mots qui permettent au lecteur de comprendre "de qui qu'on cause". Ces petits substituts qui montrent qu'un auteur a pris soin, d'abord de se faire comprendre en utilisant autre chose que "il" ou "elle" bien pratiques on est d'accord mais d'une consternante platitude ; et ensuite d'apporter du sens et du style à son propos !

Parmi les substituts nominaux, on trouve les plus connus, à la portée des enfants, les synonymes. Je ne vous fais pas l'affront de vous donner un exemple...On trouve ensuite les mots génériques. Ah.... les mots génériques : L'oiseau pour le canari, l'outil pour le marteau. Et dans le texte ? Le "quadrupède" pour le lion, "insecte" pour le moucheron. Ces deux substituts ont le même rôle : le lion insulte le moucheron en lui rappelant son état d'insecte et donc au sens figuré son insuffisance. Le Moucheron rappelle au lion, que tout lion qu'il est, ce n'est qu'un quadrupède, lourd, inefficace face à un ennemi aérien.

Et plus intéressant encore, nous trouvons toute une flopée de périphrases : La Fontaine est à la périphrase ce que Homère est à l'épithète... euh...homérique.

Jeannot, c'est le Roi, l'Empereur, le Jupiter de la périphrase.

Tout le monde a en mémoire "Le Phénix des hôtes de ces bois" de notre candide Maître Corbeau, "la gent marécageuse" pour nos grenouilles "demandant un roi" et mes préférées "l'écharpe d'Iris" de Phébus et Borée ou "la gent trotte-menu" du Chat et du vieux Rat.

Ainsi, avons nous ici, l'insulte qui engage le propos "excrément de la terre", tellement plus sympathique que le "Bâtard" trainant encore dans quelques contrées. Et efficace ! On entre dans le texte "in media res" et l'insulte permet de définir le caractère dédaigneux du lion face au moucheron "insuffisant", je l'ai dit plus haut, mais qui se révélera justement, trop suffisant...

Il est trop fort ce Jeannot !

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